mardi 22 janvier 2013

Des fantômes plein la tête

Une image publiée par Le Monde suscite beaucoup d’émois. On y voit un soldat de l’armée français portant sur la tête un foulard  sur lequel est imprimé une tête de mort. Le foulard couvre le bas du visage, tandis que le haut du visage est couvert par des lunettes de protection.. La pièce de textile donne une image “glaçante” du soldat, et a donné lieu à une réaction de l’état- major qui juge “inacceptable” un tel comportement.
Le foulard vient d’un Personnage Non Joueur de Modern Warfare II, le Lieutenant Simon "Ghost" Riley, ce qui a laissé quelques uns avancer que la culture des jeux vidéo a le tort d’esthétiser la violence. Le foulard du Lieutenant Simon "Ghost" Riley montre que les gamers sont en âge d’être sur des champs de bataille. Mais il appelle aussi d’autres remarques.
Les guerriers ont toujours pris soin d’avoir l’air redoutables sur les champs de bataille. Pour impressionner leurs ennemis, ils portaient des armures, des casques ou des parures terrifiantes. Mais ce soucis d’inspirer la terreur a toujours été accompagné d’un autre soucis : celui de paraitre beau. Les flying jackets des pilotes de la RAF sont aujourd’hui encore un modèle d’élégance et même un homme post-moderne apprécie la beauté du casque d’un hoplite. “L’esthétisation de la violence” que certains semblent craindre en voyant cette image n’est donc pas une chose nouvelle.
Communiquer la terreur
Les soldats ont deux types d’uniformes : un uniforme de combat, dans lequel ils font leur travail de combattant, et un uniforme d’apparat. Dans ce dernier cas, la tenue perd sa fonction de camouflage et de protection pour une fonction de communication. L’uniforme dit alors les faits d’armes du régiment ou de l’armée. Par les médailles et les grades, il témoigne des actions passées du soldat. Il se fait solennel et appelle au respect.
C’est cette fonction de communication qui apparait avec ce crâne grimaçant. Le vêtement est une parure dont les origines remontent sans doute au trophée de chasse. Qui porte une peau d’ours indique qu’il fait sienne la puissance de la bête qu’il a tué. Qui porte une peau de lion devient lui même un lion. Qui porte une tête de mort qu’il qu’il est lui même la mort. Il indique a l’ennemi qu’il ne voit pas un autre homme, mais seulement le visage de sa propre mort
Communiquer avec soi-même
Le costume n’a pas seulement une fonction de communication. Il est un dialogue que l’on tient entre soi et soi-même. Il est une sorte de discours intérieur dont nous nous enveloppons avec comme gain possible le fait de mieux comprendre ce que nous visons et pensons dans le fort de nos pensées
Un foulard avec une tête de mort n’est pas seulement un foulard avec une tête de mort, surtout si l’on est sur un champ de bataille. Il dit à tous ce qui n’est jamais dit en paroles : l’angoisse de la mort, les idées terribles que l’on peine à contenir pour soi, et qui ne peuvent être partagées en mots avec personne, le ventre noué,
Cette tête de mort dit aussi l’inavoué, voir l’inavouable. Elle dit que la guerre procure une excitation à une intensité que peu d’expériences peuvent atteindre. Qu’elle vous fait connaitre la solidarité comme aucune chose au monde ne pourra vous faire connaitre. Elle dit la fascination que nous avons tous pour la figure du guerrier, qu’il s’agisse du guerrier protecteur ou de celui qui porte l’assaut.
Prendre une position psychique
Les objets ne sont pas seulement les porte-parole de nos états internes. Ils peuvent aussi nous aider à adopter des attitudes psychiques. C’est d’ailleurs la fonction de l’uniforme que de faire abandonner à chacun ce qu’il peut avoir de personnel et adopter par tous des comportements, des idées ou des émotions. Prendre sur soi un objet, c’est aussi se préparer a laisser diffuser en soi l’imaginaire qu’il contient. Porter un foulard avec une tête de mort, c’est aussi se préparer à porter la mort. C’est abandonner ce que l’on est – un fils, un amant, un camarade de jeu, un père de famille, peut-être – pour devenir quelque chose d’autre  - un guerrier, un compagnon de guerre, un chien de guerre qui tue non pas pour assurer sa sécurité ou celle des siens, mais simplement parce qu’on lui a demandé de le faire.

Posez vous la question : si vous aviez à affronter la dure solidarité des hommes au combat, si vous aviez à tuer d’autres hommes, si vous aviez à faire ce que les autres hommes ne font jamais et que vous devrez en même temps, garder toute votre humanité, refuserez-vous l’aide de quelques artifices ?

mercredi 9 janvier 2013

Charte de bonne conduite à l’usage des parents qui ont un adolescent qui a un téléphone

Le Code de Bonne conduite de Janell Burley Hofmann est devenue en quelques jours une curiosité de l’Internet avec plus de 25K likes et 1500 tweets. Il signale l’inquiétude des parents vis à vis des usages que les adolescents ont de l’Internet. Malheureusement, il souligne surtout les préjugés d’une mère qui pense que la conversation téléphonique est quelque chose de moins que la conversation en face à face, craint la pornographie, exige que son fils réponde à chaque appel, ne comprend pas l’intérêt de capter des images ou d’écouter la même musique de des millions d’autres adolescents

Si vous souhaitez que votre enfant grandisse dans votre périphérie immédiate et ne développe aucune autonomie, c’est le bon guide a appliquer. Il suffit de suivre ces règles suffisamment longtemps pour arriver à ce résultat.

Si votre objectif est de concourir à la construction d’une personne libre, prenant des décisions seule, assumant le risque d’un échec dans ses entreprises, alors il faut faire autrement.

Voici les règles que je propose. Elles sont biaisées idéologiquement : je pense que les enfants n’appartiennent pas aux parents, que le travail de ceux-ci est de les aider à grandir, Je reconnais que cela prend du temps, de l’énergie, de l’angoisse et de l’argent, mais ce n’est pas une raison pour enfermer l’enfant dans des règles qui ne font qu’aménager le confort des parents. Deuxièmement, je pense que l’enfant est un être autonome depuis sa première respiration. Le travail des parents est d’assister l’enfant pour qu’il garde cette autonomie. C’est un travail difficile, tant l’enfant et les parents peuvent avoir de “bonnes” raisons et du plaisir à réduire cette autonomie

Voici les règles.

Règle 1. Le téléphone appartient à l’adolescent. Les parents ne sont pas autorisé à fouiller l’historique des appels, a explorer ses photographies, a contrôler ses navigations sur Internet, ou à checker son compte Facebook.

Un téléphone portable n’est pas qu’un téléphone portable. C’est une plateforme sociale et un espace privé. Il ne viendrait pas a l’esprit de parents d’écouter à la chambre de leurs enfants. C’est pourtant ce qu’ils font lorsqu’ils surfent sur les profils Facebook des amis de leurs enfants. Il pénètrent également dans la vie intime de leur enfant, à une époque ou la constitution d’espaces personnels, privés, loin du regard des parents est primordiale. Cette construction se fait avec des difficultés, des excès, des accros de la part de l’adolescent, et c’est pour cette raison qu’il est impératif que les parents n’interfèrent pas.

Règle 2. Le téléphone portable n’est pas une laisse.

L’enfant n’est pas obligé d’envoyer un SMS lorsqu’il arrive à la maison, ou de répondre aux appels des parents. La raison en est simple. Les parents n’ont pas a faire peser sur leurs enfants leurs angoisses de séparation. Reconnaitre le temps propre de l’enfant, c’est reconnaitre son autonomie. Les appels manqués seront objets de discussion pour comprendre la situation de l’enfant : qu’est ce qui l’empêche de répondre. C’est pour les parents, plus qu’un motif de colère, un excellent thermomètre des relations que leur enfant a avec eux

Règle 3. Le téléphone portable n’est pas un otage

L’utilisation du téléphone portable ne doit pas être soumis aux aléas relationnels que les parents vivent avec leur adolescent. D’une part, parce que il n’est pas possible de prendre ce qui a été donné, ou alors on part de l’idée qu’aucune parole ne vaut, et que tout peut être remis en question simplement parce que un parent l’a décidé. Après avoir “repris” le téléphone, il sera peut être possible de reprendre des vêtements, où le mobilier de la chambre ? Pourquoi pas des livres ?  Ensuite, parce que donner des punitions à un enfant, ce n’est pas l’élever mais le rabaisser (et se rabaisser soi-même)

Il faut prendre conscience que le système des punitions est inefficace ou contre-productif. Lorsqu’un enfant est “éduqué” à coups de punition, il a deux stratégies possible. Soit il se soumet – et si vous voulez élever un être autonome, vous avez manqué votre objectif.  La seconde stratégie est encore pire : l’enfant renonce à ce qu’il aime et ce qui est important pour lui. Il se détache des objets que ses parents lui retirent. Mais il se détache également de ses parents. Dans les deux cas, c’est perdu-perdu.

 

Parents, seriez-vous prêts à signer cette charte ?