lundi 20 mai 2013

Après la mort

Longtemps, les mondes numériques ont semblé être en deçà de la mort. Leurs premiers habitants étaient plutôt jeunes, et il y ont importé, du moins au commencement, un certain déni de la mort. La question de la mort est arrivée assez tardivement dans les mondes numériques, sans doute parce que au départ ses premiers habitants étaient plutôt jeunes. La mort frappait rarement, et elle avait alors un impact fort : “Vous ne faites pas partie d’une communauté tant que vous n’avez pas participé a un enterrement” disait Howard Rheingold à propos des groupes en ligne.

La mort se vit aussi dans le cyberespace.

Akumaprime.com est un blogue comme il en existe tant. Sauf que son auteur est décédé, et a programmé la mise en ligne des différents posts. Ses amis fréquentent encore le blogue, postent des commentaires qui se mêlent a ceux des robots qui font de la publicité pour des antidépresseurs.

Facebook donne la possibilité de mettre un compte en mode mémorial. Le compte ne dispose plus de ligne statut, et l’appartenance aux différents groupes est supprimée [Source : Rue 89]

Il est vrai que les rites funéraires font partie de ce qui nous spécifie comme humains. En ligne également, la question de la mort a finit par s’imposer. Myspace a un site jumeau, MyDeathSpace dans lequel figure les comptes Myspace de personnes décédées.

 

Même les jeux en réseau ont été touchés. Après la mort d’un de leur membre, une guilde de Word of Warcraft décide de célébrer un service funèbre en jeu a l’endroit ou elle aimait pêcher et l’annonce sur le forum officiel du jeu.. Elle est attaquée et massacrée par une guilde de la faction adverse. L’affaire fera grand bruit les forums, et donnera a discuter de la place à donner dans le jeu au hors-jeu et à la mort [Vidéo : Serenity Now bombs a World of Warcraft funeral]

dimanche 12 mai 2013

Encore une épidémie anti-jeunes

The Me Me Me Generation

Le société qui traite ses enfants en malades et pestiférés ou en sauveurs est une société dont le fonctionnement est problématique.

Le Time fait à nouveau une série d'article sur la Génération Y qui a été rebaptisée par certai*ns la Moi Génération. Les enfants nés a la fin des années 70 et au début des années 1980 seraient bien davantage narcissiques que leurs parents. Ils ne penseraient qu'à leurs intérêts personnels, et les signes d'une épidémie de narcissisme qui menacerait les fondements de la société.

Josh Foster et Jean Twenge ont mesuré de 2002 à 2007 les traits de personnalité d'étudiants avec le Narcissistic Personnality Inventory (Faites le test) et ont trouvé des scores deux fois plus importants que ceux mesurés entre 1982 et 2006. L'augmentation est plus importante chez les femmes que chez les hommes, même si les hommes se montrent davantage narcissiques (1)

Dans sa présentation de Generation Me, Josh Twenge fait état d'un sondage du National Institute for Health dans lequel les traits du trouble de la personnalité narcissique se retrouve plus souvent chez les plus jeunes. La preuve est donc donnée d'une trouble qui serait caractéristique des jeunes et pratiquement inconnue des plus vieux.

A l'appuis de cette idée, la vague de chirurgie plastique, les attitudes matérialistes, et le désir d'être satisfait le plus rapidement possible sont également mis en avant. Bref, nous vivons dans un monde de superficialité et de plaisirs immédiats. Un monde de jeunes.

Pourtant, lorsque les psychanalystes découvrent de nouveaux nouveau type de fonctionnement qu'ils appellent "fonctionnement narcissique", "état-limite", puis "perversion narcissique", il ne les découvrent pas sur la génération Y mais avec leurs parents. Nous sommes à la fin des années 1970 - le livre de Kohut qui donne le départ des recherches sur le narcissisme date de 1978. Le narcissisme n'a donc pas été trouvé dans la Génération Y mais bien chez les boomers.

Je ne retrouve en rien les méchantes descriptions qui sont faites régulièrement sur la Génération Y. la ou le Time voit des "paresseux, narcissiques, vivant chez leurs parents" ou des "sauveurs", je vois des jeunes gens plutôt davantage soucieux des autres et de leur environnement que ne l'ont été leurs parents. Il faut dire que leur héritage est lourd. Ce sont les générations "non-narcissiques" qui ont inventé le massacre de masse, la guerre mondiale, l'extinction des ressources et fait une sévère coupe dans la diversité du vivant. Ce sont les générations précédent cette "Génération Moi" qui brevète le vivant à tour de bras. Ce sont les générations précédentes qui ont inventé la consommation de masse.

On m'objectera que la Génération Y a ses veaux d'or. Qu'elle consomme de l'iPhone et autres gadgets. Mais je retiens deux choses. D'abord, ce n'est pas l'heure du bilan. Nous verrons ce que cette génération lèguera a ses descendants. Ensuite, cette génération a déjà inventé d'autres modes d'être et de consommer. Elle le fait avec ce que la technique de son temps lui a donné : l'Internet. Par ses pratiques en ligne, elle pousse la société toute entière à l'invention dans le commerce, la monnaie, ou le droit. Comme dans toute société, les forces et les potentialités de changement sont davantage du côté de la jeunesse.

 

(1) Cette Narcissistic Personnality Inventory pose des problèmes de validité. http://academic.udayton.edu/MatthewMontoya/pubs/Rosenthal_etal_JRP.pdf

samedi 11 mai 2013

Le réseau internet comme ferment de l'adolescence

Lorsqu'il s'agit d'Internet et d'adolescents, on se retrouve souvent face à deux attitudes opposées. La première attitude est de percevoir les adolescents comme des personnes à protéger du fait de leur immaturité. Dans ce contexte il faut donc leur éviter d'être confronté à des contenus considérés comme gênants pour leur développement. La seconde attitude est de concevoir les adolescents comme des personnes incontrôlables dont les conduites problématiques voire délictueuses doivent être punies.
Ces deux attitudes ne prennent pas en compte les spécificités du réseau ni celles de l'adolescence. L'adolescence est un moment de transformation au cours duquel la personne se ré-invente. Au terme de cette transformation, elle doit être capable d'établir des  relations bienveillantes et significatives, être intégrée à des groupes différents de son groupe familial, et être capable d’établir des limites sures quant à son identité et son intimité.
Le réseau Internet participe de ce travail. En effet, le réseau est principalement utilisé à des fin récréationnelles et de socialisation. L'internet est quelque chose entre le parc d'attraction, le centre commercial et le hall d'immeuble. On y traine avec quelques amis, on s'y fait voir, on y discute.
En permettant de se lier et de communiquer avec d’autres personnes, tout en gardant la maitrise de ce qu’il expose, les relations en ligne participent du travail de l'adolescence. Elles permettent de réduire les sentiments d’isolement et de solitude, de reconnaitre ses émotions et ses pensées comme valables au travers d’un processus de comparaison sociale et d’expression de soi..
Cela est vrai pour les espaces que les adultes aiment voir les adolescents fréquenter : sites éducatifs, espaces de jeu proprement balisés. Mais cela est vrai aussi (et peut être même surtout) pour des espaces plus sombres.
Il existe sur l'Internet des communautés spécialisées dans les comportements auto-destructeurs. Ces communautés peuvent être pérennes, c'est à dire organisées autour de forums, de pages LiveJournal, ou pages Facebook. Elles peuvent également être "volatiles", et n'apparaitre qu'à l'occasion d'un tweet ou d'un message sur Facebook.
La plus connue de ces communauté est la communauté "pro-ana" ou "anamia"  (Antonio Casilli travaille sur la sociabilité anamia). Dans cette communauté, l'anorexie n'est pas le trouble grave des conduites alimentaires que l'on connait, mais une amie à qui l'on écrit des poèmes. "L'anorexie n'est pas une maladie, mais un style de vie" est le slogan fédérateur de ces groupes dans lesquels on s'échange des trucs pour manger le moins possible. D'autres communautés se fédèrent autour des auto-mutilation ou du suicide. Les membres de ces communautés font une identité de ce que est considéré ailleurs comme un diagnostic psychiatrique en produisant un matériel important à l'occasion d'échanges sur des conduites auto-destructrices
C'est précisément ce point qui est important : le contenu est généré par les utilisateurs. Il ne s'agit pas d'images diffusées par un mass-média a destination d'une cible précise. Il s'agit d'images et de récits pris dans la vie et l'histoire de chacun. Ces images et ces récits, aussi troublants puissent-ils être, sont autant d'indices d'un travail sur soi. Sur les forums ou il est questions d'automutilation, les signatures et les profils de quelques utilisateurs mettent en avant les conduites automutilatrices. Mais s'effrayer des images sanglantes, et des photographies de cicatrices risque de faire oublier que la grande majorité des messages sont des messages de soutien. Puis viennent les messages qui évoquent le contexte et les motivations de l'automutilation. 
Les signatures des messages comportent des extraits de poésie, de chansons ou renvoient vers un livre . Les messages sont très majoritairement des messages de soutien (28,3%) et des messages donnant le contexte et les motivations de l’automutilation (19,5%. Puis viennent les messages traitant du masquage des cicatrices laissées par les auto-mutilations (9,1%)
La créativité est une composante de l'expression de l'identité. Elle est utile dans le développement de la personne. En effet, la créativité est soi l'expression d'un vrai-self, aussi libre que possible de contraintes externes et internes (Winnicott), soi un moyen d'explorer de nouvelles modalités d'être (Rothenberg, 1990). Cette créativité est favorisée par des éléments qui peuvent facilement être retrouvés dans les communautés en ligne : la motivation intrinsèque, l'individualisme, l'absence de jugement, le regard positif des autres. Dans les communautés en ligne, chacun est libre de produire des contenus et de commenter ceux des autres. Les conseils donnés et le soutien apporté aux autres est également une décision libre de chacun. Le climat de permissivité et de tolérance permet à chacun de se sentir accepté et compris  pour ce qu'il est, et ce jusque dans ses conduites les plus destructrices.

On a longtemps pensé que l'Internet avait des effets désocialisants. On sait maintenant qu'il a des effets de socialisation chez les adolescent en mal d'eux-même : les adolescents auto-mutilateurs ont davantage tendance a utiliser l'Internet que les autres (1)Ainsi, les communautés en ligne problématiques jouent un rôle tout à fait positif. Au delà des contenus provocateurs, elles permettent aux adolescents en difficultés d'être en lien avec d'autres personnes.

(1) Mitchell K, Ybarra M: Online behavior of youth who engage in self-harm provides clues for preventive intervention. Preventive Medicine: An International Journal Devoted To Practice And Theory 2007,45(Suppl 5):392-396. OpenURL